21 novembre 2014

Dur dure

Dans l'attente d'une fenêtre météo acceptable, le départ sera finalement repoussé de 24h. Cinq nuits dans une auberge plutôt miteuse après si peu de pédalage nous ont fait bouillir... Nous nous sommes donc élancés sur la route pierreuse qui serpente entre les montagnes, suivant marécages et forêts, en direction de Candelario Mancilla, lot de trois baraques à la pointe sud du lac Lago d'El Desierto : 40 km sans gros dénivelé, dans le froid brumeux du mont Fitz Roy (que nous n'aurons jamais vu... existe-t-il vraiment ?!) suivi de douces éclaircies ô combien attendues, dévoilant les sommets enneigés, les rivières cristallines, le vert criard des prairies inondées. Clotilde, j'avais parlé aux poupées à soucis ! 
Un couple de vieillards a "campinguisé" ses quelques mètres carrés d'herbe plane au pied d'une montagne étincelante. Un ballon d'eau chauffée au feu de bois nous offrira une douche propre à faire oublier un instant les 6°C ambiants. 
Deux options pour traverser le lac et rejoindre la frontière chilienne : emprunter un sentier de randonnée de 12 km à travers la forêt de montagne ou monter dans le bateau qui part du "bout du jardin" jusqu'à la pointe nord du lac. La première idée a été testée la veille par deux jeunes cyclotouristes allemands de deux mètres dans la force de l'âge qui ont abandonné après un kilomètre devant la difficulté de l'entreprise (l'hiver s'achève à peine). 
Nous embarquerons donc sur le rafiot nos 4 vélos et nos 22 sacoches le 12 novembre à 10 heures du matin, après une "avoinée" roborative et un pliage de tente express. 
Débarqués au nord du lac, nous présentons nos passeports au poste argentin pour sortir du territoire et nous attaquons aux 6 km de sente escarpée, en pleine forêt, qui nous séparent du col frontière. L'eau ruisselante a creusé le chemin en tranchée de 50 cm de profondeur, le dénivelé et la boue compliquent l'avancée mais nous nous entraidons pour pousser les vélos chargés, décrocher puis raccrocher maintes et maintes fois les sacoches sur les porte-bagages, progresser mètre par mètre, dans la bonne humeur. Le sous-bois est jonché de beaux arbres morts, blanchis, aux formes biscornues, et tapissé de mousses presque fluorescentes. 
A trois reprises, nous franchissons pieds nus un cours d'eau grossi par la fonte des neiges, en faisant la chaîne pour porter montures et bagages. Le passage d'un marécage métamorphosera nos vélos en un tas de boue informe. Laurent, tu ne peux pas imaginer leur état, toi qui les as si longuement préparés ! 
La vue du panneau Bienvenido en Chile, au milieu des bois, nous arrachera des cris de joie ! 
La piste s'élargit alors en une route de caillasse un peu plus praticable. Une longue descente rocailleuse nous ravit les yeux, après le surnaturel de la forêt détrempée : un lac turquoise aux berges découpées sert de douve aux châteaux forts des montagnes, à perte de vue, sous un ciel tourmenté aux nuages mauves. 
Pas le moment d'avoir le souffle coupé... le précipice guette ! 
Le poste frontière chilien (une des 5 maisons du hameau) sera la dernière étape avant l'installation de la tente dans une prairie déserte, moyennant quelques pesos à une grand-mère édentée qui nous vendra aussi des œufs pour tenir le temps que le ferry pour Villa O'Higgins ne passe... 
Et c'est là que l'histoire se complique. La date de passage de ce fameux ferry a changé trois fois sur le trajet selon les interlocuteurs, sachant qu'il n'y en a qu'un par semaine et que le dernier a été annulé à cause du mauvais temps. 
Première journée ensoleillée, idyllique, dans un décor de carte postale, à nettoyer et réparer les vélos devant un lac couleur de lagon où flottent de gros icebergs bleus. 
Le ferry doit passer le surlendemain, timing presque parfait. 
La nuit suivante, une pluie diluvienne s'abat sans discontinuer sur la tente qui se contorsionne sous les assauts du vent. 
Au matin, le réchaud à pétrole fonctionne à plein régime, à l'abri dans une grange que nous n'avons pas quittée depuis. 
La prairie s'est transformée en marais, le ruisseau tout proche en rivière et une cascade déboule maintenant des rochers qui nous surplombent. 
Rapatriement des sacoches, duvets, matelas et affaires dans la grange. Abandon de la tente à son triste sort, nageant dans 5 cm d'eau. 
A 16h, la nouvelle tombe, de la bouche des deux allemands partis pêcher sous le déluge : le ferry est annulé. Peut-être mercredi, peut-être pas, Incertitude. Un couple de cyclo-voyageurs américains qui "campe" à l'embarcadère depuis 10 jours en attendant cet hypothétique navire décide de rebrousser chemin vers El Chalten. Suicidaire à notre avis. Il va nous falloir rationner les vivres, comme eux (ils mangent uniquement le pain et les œufs de la vieille dame depuis 5 jours). A suivre. Avec nos deux Allemands astucieux, on a remis en marche un vieux poêle dans l'abri. On va attendre là, espérer. C'est rude mais on va bien. Il fait 8°C. Il pleut des cordes. On est au bout du monde.

https://www.google.fr/maps/dir/El+Chalt%C3%A9n,+Province+de+Santa+Cruz,+Argentine/Candelario+Mancilla+Border+Crossing,+O'higgins,+Chili/@-49.0996098,-73.0944376,10z/data=!3m1!4b1!4m14!4m13!1m5!1m1!1s0xbdbd03fe92914231:0xc4be5aa754aefc!2m2!1d-72.886325!2d-49.3314941!1m5!1m1!1s0xbdbd8e31f9a6b671:0x56fe83e625086ca!2m2!1d-72.7422065!2d-48.8693028!3e0
CARTE






7 commentaires:

  1. Salut les Loulous !

    Bon ok, vous en chiez un peu (beaucoup ??) mais c'est tellement beau !!
    J'espère que la météo va s'améliorer ! Je suis votre voyage par procuration et j'ai très envie de prendre le large...

    Régalez-vous ! Je pense bien à vous.

    Fanny

    PS: Lulu, trop classe l'assortiment gore-tex / chaussures vert pomme !

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  2. Salut les loulous!
    Bon ben c'est la vraie Patagonie que vous traversez!!! Profitez en car le jour où tout cela sera goudronné le charme aura disparu.
    A part la pluie je vous envie car je voulais passer quelques jours à Candélario Mancilla justement pour vivre quelques temps en ayant la sensation d'être au bout du monde. Et finalement j'avais filé directement à El Chalten. Avez vous vu l'ancien camp militaire juste avant la frontière ? J'avais campé là pour une de mes plus belles nuits du voyage... avec une petite gelée blanche au matin tout de même ! Oh si vous saviez comme j'aimerais être avec vous !!! Faites une grosse bise de ma part à Julie au camping tsonek quand vous serez a Villa o Higgins. Et la route sera beaucoup beaucoup plus roulante ensuite. Bises! Marc

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  3. WAOUH!!!! GRANDIOSE !!!!
    Petit almanach du jour ( 22 nov) :
    Vivre chaque jour comme si c'était le dernier;
    ne pas s'agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant ( Marc Aurèle empereur romain 121-180 ). Tendresse. Clotus.

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  4. Revivre mon voyage à l'envers, quelle émotion!
    Il faisait beau alors et on voyait le mont Fitz Roy depuis le lac que vous avez traversé en bateau, quelle belle image pour la dernière nuit nomade à vélo de mon périple! Je me rappelle bien aussi de cette piste : "nous attaquons aux 6 km de sente escarpée, en pleine forêt, qui nous séparent du col frontière. L'eau ruisselante a creusé le chemin en tranchée de 50 cm de profondeur" moi je pensais que c'était les animaux qui avaient creusé ces tranchées en plus de l'eau (il y avait des chevaux). Et puis le lac que vous allez traverser, vous allez voir ce que vous allez voir!
    Je suis bien contente de constater que vous avez l'air de profiter d'être ralentis, ça vous change espèces de gros bourrins : qui va piano va sano!
    Je vous embrasse bien fort avant que notre grand voyage à nous ne commence

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  5. C'est époustouflant !
    J'espère que la météo ne bloquera plus longtemps votre progression et que vous pourrez bientôt retrouver un régime alimentaire un peu plus varié ! Quoique dans votre malheur les oeufs ont l'avantage de se consommer de plein de façons différentes : en omelette, durs, sur le plat, à la coque... :-)
    Gardez la forme et continuez d'avancer au rythme de la nature !
    Je vous admire et vous fais de gros bisous !

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  6. Impressionnant ! Merci pour ces belles images et ces récits qui nous font vivre votre aventure. Courage !

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  7. Quel suspens avec ce ferry qui n'arrive pas ! J'ai hâte de lire la suite ^^, des bises Ariègeoises... A ++

    Signé Dravidcoquette

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